Mais alors si le monde n’a absolument aucun sens, qu’est-ce qui nous empêche d’en inventer un ? Lewis Caroll, Les Aventures d’Alice au pays des merveilles, 1865

Du jour au lendemain est une exposition à la scénographie alternée, entre salles personnelles et salles partagées, où les oeuvres de Marie Ducaté et Didier Tisseyre construisent un dialogue sensible entre art décoratif et pratique artistique contemporaine. L’exposition, située au premier étage, dans l’ancien appartement du directeur, offre une immersion dans leurs oeuvres dont la majorité est spécialement conçue pour Labanque.

Les artistes partagent une approche sensible de la matière, de la forme et de l’équilibre fragile. Ils ont en commun une exposition collective en 1989 La double transparence – 30 vases pour le Cirva au Centre national des arts plastiques, ministère de la Culture à Paris, et travaillent avec le même atelier de verrerie en Tchéquie : l’atelier EDO du maitre verrier Petr J et Barbora J.

Chez Marie Ducaté, l’art est diurne ; il s’inscrit dans un temps de clarté, de présence au monde, en prise avec les sensations de la journée, ses cycles, ses couleurs mouvantes. Les oeuvres sont des éclats de jour, portés par des matériaux translucides et légers : aquarelle sur papier calque, voiles d’organza, verre soufflé, faïence émaillée. Elle aime les matières qui vibrent avec la lumière, qui filtrent, diffusent et transforment ; à la manière d’un rêve éveillé. L’artiste présente pour cette exposition des vases, réalisés à partir de ses dessins dans l’atelier EDO en Tchéquie, qui évoquent des formes simples, presque instinctives, apparaissant comme en un souffle. Le verre devient support d’éclats colorés, de gravures délicates, d’ombres mouvantes : c’est un matériau vivant, au coeur d’un ballet fragile, proche du miracle, comme elle aime dire. Délicatesse, subtilité, plaisir des matières et des matériaux, Marie Ducaté nous offre une approche du 1er étage de Labanque tel un enchantement.

L’artiste explore un imaginaire délicat, entre le conte et la couleur. D’ailleurs, nombre de ses oeuvres ont pour titre les couleurs dont elles sont composées : jaune paille, chocolat au lait, violet / caramel… L’univers de Marie Ducaté est habité par des références littéraires et musicales : l’écrivain anglais Lewis Caroll, le dramaturge et poète anglais William Shakespeare, le compositeur et pianiste français Erik Satie, et le poète portugais Fernando Pessoa. Elle cite ce dernier « Je ne puis vouloir être rien, je porte en moi tous les rêves du monde ». Ce vers résume bien son approche : une liberté sans hiérarchie entre les disciplines, un désir d’enchanter le réel, de le colorer de rêves, de contes et d’inattendu. Une des salles de l’ancien appartement est consacrée à Alice au pays des merveilles, et condense cet univers : aquarelles vaporeuses, verres soufflés et gravés des aventures d’Alice, lapin blanc insaisissable, exposés dans une chambre d’enfant revisitée.

Aux côtés de l’univers lumineux de Marie Ducaté, Didier Tisseyre propose une vision graphique et introspective, marquée par la narration et la figure humaine. Ses oeuvres racontent : elles déroulent un fil, au sens propre comme au figuré, sur lequel ses personnages funambules évoluent avec fragilité et grâce. Toujours en équilibre sur une ligne, ils instaurent une tension poétique. Qu’il s’agisse de vases incrustés de figures découpés dans du cuivre ou de grandes aquarelles panoramiques, chaque pièce inscrit une histoire en suspens, un tiraillement entre équilibre et chute.

Didier Tisseyre travaille la forme du vase comme une surface à raconter. Ses figures filiformes, silhouettes suspendues, habitent l’objet comme un théâtre intime. Lentement, elles deviennent figures, personnages, oiseaux, fragments d’histoires. Ses personnages semblent être pris dans la masse, flottants, où s’installe entre eux un dialogue silencieux. Ses immenses aquarelles déploient cette même volonté de dérouler un récit, sans fin ni début fixe, une écriture de la ligne où chaque trait est à la fois image et mot. La ligne guide l’oeil d’un point à l’autre, comme une écriture continue. Les aquarelles foisonnent d’êtres, de compagnons de nuit comme il cite : Icare, l’ange, le chat, la lune…

L’artiste pioche dans son corpus pour créer des poèmes-objets, poèmes-aquarelles, poèmes-vases. Dans cette exposition, l’artiste affirme montrer « comment les signes deviennent images » et comment ces images glissent d’une technique à une autre. Pâtes de verre, cuivre, tissus, sculptures, vases, aquarelles : autant de territoires qu’il traverse sans hiérarchie, dans un esprit d’itinérance, de curiosité. Il conçoit son travail comme un système en mouvement, où les formes naissent, disparaissent, se transforment.

Réunis pour cette exposition, Marie Ducaté et Didier Tisseyre vous invitent à faire l’expérience du cycle, du jour au lendemain, de la lumière à l’ombre, du souffle coloré aux histoires silencieuses. Ensemble, ils composent un paysage sensible où le jour nourrit la nuit et la nuit prépare le jour.

44 Pl. Georges Clèmenceau
62400 Béthune
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